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Linda Keisea

L’écriture d’un antagoniste

J’ai un projet d’écriture en cours, Poems, où le personnage principal n’est pas le héros. Il commet des actes immoraux et n’éprouve aucun remords pour ce qu’il fait.

J’aime beaucoup l’écriture de ce personnage, parce qu’il est compliqué. Il m’oblige à sortir de ma zone de confort et je m’éclate à faire des recherches qui feraient pâlir la police.

Le background du personnage.

Le personnage principal est à la base de mon idée d’histoire.

Je lisais quelques phrases poétiques sur les réseaux sociaux, et je me suis posée la question suivante :

Peut-on écrire un poème qui serait tellement beau qu’on ne se douterait pas qu’il s’agit de la description d’un meurtre ?

J’ai imaginé un poète, un artiste incompris qui avait besoin de tuer pour créer la poésie.

À l’heure d’aujourd’hui, je m’éloigne un petit peu de l’idée de départ, mais c’est cette idée qui m’a amené à construire mon personnage, que j’appelle “le poète”.

Pour construire le personnage, j’ai donc imaginé son passé, son présent. Bien que j’aie une idée de la fin de l’histoire, je laisse l’écriture décider de son futur.

C’est en écrivant sur son passé que m’est venue l’idée qui allait changer ma perception de mon personnage.

Je réfléchissais au passé de mon personnage et aux circonstances de la perte de sa mère. C’est en imaginant la scène du décès que tout a changé. La scène est triste. Je m’en suis voulu d’infliger ça à mon personnage. Même s’il est censé devenir un tueur en série. Le fait que “le poète” n’est encore qu’un enfant qui ne comprend pas ce qui se passe quand il perd sa mère, m’a poussé à ressentir de la peine pour lui. Sauf que l'événement tragique n’a pas aidé pour l’écriture de la suite de l’histoire.

Comment poursuivre ?

Le passé de mon personnage était censé m’aider à construire un présent plus consistant. Son passé faisait comprendre son présent. Le drame qu’il a vécu enfant est une des raisons pour laquelle il est devenu meurtrier. La mort de sa mère expliquait beaucoup, et peut-être trop à ce moment-là de mon projet.

Après l’écriture de cette scène, je la voyais partout. La perte de sa mère était présente à chaque moment d’écriture. Je n’arrivais plus à visualiser “le poète” comme un tueur, car je n’arrêtais pas de voir l’enfant qui avait perdu sa mère.

Je n’étais pas loin de créer un autre personnage qui commettrait les meurtres à la place du “poète”. De faire du “poète” un personnage manipulé par celui qui serait le nouveau tueur.

Cela ne faisait que repousser le problème. J’aurais pu créer un passé tragique à ce nouveau personnage, et je serais retournée à la case départ. Ou pire, pour éviter le problème, je n’aurais pas pensé au passé du personnage, et il aurait été vide, sans personnalité.

Heureusement, je consomme assez de contenu de true crime, pour me rappeler que si on cherche des explications aux gestes des tueurs en série, cela ne veut absolument pas dire qu’on veut les justifier.

C’est ça que j’essayais de faire avec la construction du passé du “poète”. Donner un début d’explication aux actes du personnage.

Parce qu’il n’est pas réel, les actes répréhensibles que je lui attribuais n’étaient pas arrivés. Et c’est pour cela que je m'autorisais à ressentir de la compassion et de la pitié pour le personnage.

Il fallait que je trouve un moyen de continuer mon histoire.
Il fallait que j’avance avec mon personnage du “poète” tel que je l’avais imaginé.

Et le lecteur ?

Franck Thilliez dans son livre “Le plaisir de la peur – secrets d’écriture”, écrit que le lecteur est son obsession et devrait aussi être la nôtre.

Il part du principe que si nous écrivons, c’est que l’on veut être lu.

Il ajoute “À chaque instant, détachez-vous de votre plume et mettez-vous dans la peau de votre lecteur : si vous lisiez votre propre récit, qu’aimeriez-vous ressentir à ce moment-là ?”.

J’ai pris ce conseil au pied de la lettre, et même un peu trop cœur.

Je me suis tellement mise à la place du lecteur, que je me disais qu’il allait forcément ressentir ce que j’ai ressenti et je n’étais pas d’accord.

Je ne voulais pas que le lecteur prenne pitié du “poète” alors qu’il devait être mon antagoniste principal.

Après avoir décidé d’effacer le passé de mon personnage, je voulais rendre ses actes encore plus trashs. La construction de l’histoire devenait chaotique. J’en étais au point où j’écrivais des détails macabres, juste pour écrire du gore.

La logique était que plus, il y avait d’horreur, et plus il y avait de chances que le lecteur ne soit pas pris de pitié pour “le poète”.

Mais l’écriture devenait lourde et les détails n’étaient en réalité d’aucune utilité.

Ne voyant pas de solution, et ne voulant pas écrire pour écrire, j’ai mis mon projet sur pause. Cela me permet de m’éloigner du problème, espérant trouver ainsi une solution en menant tranquillement ma petite vie.

Mauvaise influence.

Quand je suis bloquée dans mon écriture, je me plonge dans mes livres.

La lecture est pour moi un moyen de stimuler mon imagination. Généralement, ce que je fais, c’est que je lis un livre dans un genre différent dans lequel j’écris. C’est vraiment pour éloigner au maximum mes pensées sur mon écriture.

Ensuite, quand je suis prête, je me plonge dans un livre du genre que je souhaite écrire. Cela me permet de comprendre certains mécanismes. Parfois le livre que je vais lire va traiter du même sujet, même si c’est d’une manière différente.

Après mon blocage sur Poems, j’ai été intéressée par le phénomène des dark romances. J’ai arrêté l’écriture au moment où le livre Captive par Sarah Rivens était publié. J’ai lu le livre, pour, comme à mon habitude, m’éloigner du genre duquel j’écris. Sauf que la dark romance est pile dans la problématique que je rencontre.

Comment peut-on apprécier un personnage qui commet d’horribles actes ?

Je n’écris pas une dark romance. Mais la problématique est similaire en quelque sorte. Pour quelques raisons, on pourrait s’attacher au “poète”. Mais si c’est une volonté pour les dark romances, ce n’est pas ma volonté pour Poems.

Je cherchais à m’éloigner du problème que je rencontrais, pour au final être plongée en plein dedans.

J’avais peur d’être influencée et de tourner mon idée en dark romance, ce que je ne souhaitais pas du tout. Avec l’apogée des dark romances, je n’avais plus envie de continuer mon projet.

Remise en question.

Mettant ce projet en pause, je continuais à écrire tous les jours sur d’autres sujets. Cela me permettait de ne pas perdre ma routine d’écriture.

À force d’écrire, je finis éventuellement par repenser au “poète” et à l’histoire et surtout la direction que cela prend.

Je note mes idées dans un carnet sans vraiment me relancer dans le projet. J’attends de me sentir absolument prête, histoire de ne pas aller trop vite et arrêter tout au bout de quelques jours.

Au bout de quels temps, j’ai donc repris l’écriture de Poems. J’ai écrit en pensant à mon histoire. À ce que je voulais qu’elle devienne, j'ai arrêté de me poser trop de questions.

J’ai clairement réalisé que si je voulais écrire l’histoire qui me trottait en tête, je ne pouvais pas me mettre autant de bâtons dans les roues, en pensant trop à ce que des personnes pourraient faire de mon histoire. Il y a des choses que je ne peux pas contrôler. Et clairement, je ne pourrais pas contrôler l’avis de lecteurs sur mes histoires.

J’ai repensé au contenu de true crime que je consomme. J’ai aussi réalisé que parfois des tueurs en série étaient adulés malgré toutes les horreurs commises. Si clairement cela arrive dans la vraie vie, je ne peux pas empêcher des personnes d’apprécier le diabolique personnage que je suis en train de créer.

J’ai le projet Poems, actuellement sur pause, parce que je compte me challenger pour mieux avancer au Camp NaNoWriMo d’avril 2024.